Suit alors la liste des noms qui, pour l’éternité, allaient devenir « les Douze », cette équipe d’hommes jeunes, issus pour la plupart des couches populaires (plusieurs d’entre eux sont pêcheurs, métier rude), parfois mariés (Pierre), parfois convertis de manière foudroyante, à partir d’une profession honnie (Matthieu, collecteur d’impôts) ; mais, caractéristique commune, tous ont tout quitté pour suivre Jésus dans sa vie « publique », l’écoutant, le servant, le questionnant, le protégeant, essayant de comprendre sa mission... Jusqu’à l’heure des ténèbres du Jeudi-Saint, l’heure terrible où Judas se séparera, « les Douze » constituent ce « dream-team », comme disait le père Maurice Jourjon, qui fait bloc autour du Christ, sur les grands chemins de Galilée comme à Jérusalem, ayant tous renoncé à la vie familiale, aux biens propres, et au gain que procurerait l’exercice d’un métier. Le treizième apôtre, chose étrange, aurait pu être ce « jeune homme riche » qui voulait si fort la vie éternelle qu’il en demanda le secret à Jésus, en l’assurant qu’il suivait déjà scrupuleusement « tous les commandements »... Mais il ne put, on s’en souvient, s’arracher aux grands biens qu’il avait, tout abandonner pour être tout au Christ, et repartit « très triste » en solitaire... Ainsi les Douze restèrent douze, et pour nous ce groupe (à qui fut donné le privilège immense d’accompagner le Seigneur, mais aussi la tâche quasi impossible de comprendre qui Il était vraiment, et qu’il fallait, avec lui, faire mourir Dieu sur une croix) devint parfaite icône lors du dernier repas : la table, le pain, le calice, les visages attentifs et graves, Jean, penché sur le coeur de Jésus, Pierre protestant de sa fidélité, Judas, hésitant à quitter la table : " Ce que tu dois faire, Judas, fais-le vite... « Deux d’entre ces hommes sont particulièrement discrets : ce sont les deux derniers nommés lors de l’appel, placés juste avant » Judas Iscariote, celui qui allait trahir « ; voici donc » Simon appelé le Zélote « et » Jude, fils de Jacques « . On appelle parfois Simon » le Cananéen « , par suite semble-t-il d’une confusion de termes entre son origine » zélote « (une secte révolutionnaire parmi les Juifs, cherchant à repousser les Romains par la violence), et le nom du village de Cana, qui s’en rapproche en hébreu ; Jude, lui, est surnommé, peut-être pour être différencié de Judas, » Thaddée « (Mt,10,3) c’est-à-dire plein de coeur ou courageux. Ces deux » avant-derniers cités « , place humble s’il en est, puisque seul l’Iscariote se trouve » derrière « , ont ceci de particulier qu’ils restent toujours dans l’ombre, dans le groupe des autres, jamais en vedette : ils ne font aucune action digne d’être rapportée, ne se signalent par rien de précis, ne prennent jamais la parole... Ce sont les deux » obscurs « , les figurants, les silencieux... On dit pourtant qu’ils furent plus tard évangélisateurs de l’Idumée, la Syrie, la Mésopotamie, et qu’ils subirent le martyre en Perse ou en Arménie, vers l’an 80... Ne représente-t-on pas Simon le Zélote, sur certains (rares) tableaux, avec une scie qui fut l’instrument de son supplice ? Quant à Jude, étrange vocation, il devint le patron » des causes désespérées « , et il existe encore trace d’une pieuse » neuvaine à st Jude, apôtre des causes perdues " avec une prière qui, ô surprise ! est accessible sur Internet...
Mais avons-nous bien dit, quand nous avons déclaré « muets » tout au long de l’Evangile ces deux fidèles apôtres ? Jamais une parole de Simon, certes, mais Jude...? N’a-t-il pas posé à Jésus, intervention unique et mémorable, une question fondamentale et qui suffit à nous le rendre proche à jamais ?
« Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et pas au monde ? » (Jn 14,22)
Et Jésus de répondre, ouvrant le Salut à tous les hommes : " Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui, et nous ferons en lui notre demeure… "