Jamais le mot de “trinité”, on le sait, ne figure explicitement dans la Bible, Ancien et Nouveau Testaments confondus. Mais la Genèse fait divinement planer l’esprit sur les eaux, la Sagesse donne à penser le Fils, et la théophanie où Abraham rencontre Dieu, dans la chênaie de Mambré, fait intervenir une triple “apparition”, avant que le baptême même du Christ par Jean au bord du Jourdain ne manifeste de manière éclatante la cohérence des trois “personnes” :
« Alors le ciel s’ouvrit, l’Esprit descendit comme une colombe et une voix sortie du ciel dit : Tu es mon Fils le bien-aimé, en qui je me réjouis »
(Luc, 3, 22).
On pourrait dire d’ailleurs que le Nouveau Testament est ainsi littéralement tissé de formules qui, d’une part, affirment ou supposent la parfaite divinité du Fils et, d’autre part, associent pleinement l’Esprit à la vie, à l’intimité, à l’action, du Père et du Fils. La première “révélation” de la Trinité n’y serait-elle pas présente, d’ailleurs, sous une forme “privée”, au profit de Marie, dès l’Annonciation, par la voix de l’ange Gabriel : “Le Saint-Esprit viendra sur toi, la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre… C’est pourquoi l’enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu” ? On a bien là le Père dans les cieux, le Fils dans le sein de la Vierge, l’Esprit descendu pour féconder Marie…
C’est ainsi qu’on a parfois l’impression, en lisant l’Ecriture, qu’il existe une pédagogie divine, un tendre et délicat enseignement qui cherche en quelque sorte à suggérer peu à peu aux hommes l’extraordinaire beauté de la relation trinitaire, cette “splendeur” (Grégoire de Nazianze), avant que les théologiens du IVe s. ne la mettent en mots et ne la rendent clairement intelligible au Credo de Nicée-Constantinople (381).
Petit à petit, en effet, les Pères de l’Eglise, qui ont rendu compte de notre foi et développé le kérygme, la transmission du “bon dépôt”, comprennent que la révélation est à expliciter, à préciser, non pour y changer quoi que ce soit, encore moins pour y ajouter la moindre nouveauté, mais pour définir universellement ce que Dieu a voulu confier aux hommes. Il a fallu pour cela élaborer une réflexion complexe, et dire finalement “l’unique substance” et les “trois personnes” (hypostases), chacune ayant ses attributs et ne pouvant être confondue avec les autres. Relation où circule, au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer et comprendre, la charité divine, incomparable, inconcevable, “pure lumière des trois sources, fondues en un seul flot incandescent”, dit Grégoire de Nazianze, et “triple lumière de la gloire indivise”. Au coeur de ces débats où chacun donne le meilleur de lui-même au service de sa foi, le Christ sera pleinement reconnu Dieu au concile de Nicée (325), “engendré, non pas créé, de même nature que le Père”, et cinquante ans plus tard, la grande théologie grecque, particulièrement celle des pères cappadociens, triomphera à Constantinople, pour établir la divinité du Saint-Esprit.
Aucune image ne dira sans doute mieux que l’icône de Roublev la parfaite beauté de la Trinité. Aucune œuvre n’en fera mieux étinceler, je crois, la parfaite unité dans la complémentarité, que celle de Grégoire le Cappadocien. Grâce à eux, mais aussi, bien sûr, grâce à tous les croyants, artistes et théologiens, qui ont su interpréter les “signes” de l’Ecriture dans la douce pédagogie de Dieu, nous pouvons prier aujourd’hui la Trinité, et méditer sur cette “intercommunion perpétuelle” (Joseph Moingt) où se dit, pour nous, simplement, le profond mystère de l’amour.