Cependant saint Paul n’emploie jamais le terme de “conversion”. S’agit-il d’une vocation prophétique ? Ou encore d’une théophanie ? D’une illumination ? Le récit le plus long, le plus complet (Ac 9) nous présente effectivement des signes théophaniques (lumière, voix, l’effet de surprise, chute de l’homme à terre…), mais nous n’avons aucun signe de disponibilité de Saul, ni de la remise d’un mandat. Saul est purement passif. Or toutes les théophanies et les récits de vocation prophétique trouvent leur pointe dans l’envoi en mission. La dimension prophétique est transférée sur Ananias.
Saul pour rapporter son expérience utilise un texte de l’Ancien Testament : la conversion d’Héliodore (2 M 3). Ce récit nous rapporte que le chancelier de Seleucos IV chargé de persécuter les juifs fut arrêté dans son entreprise par Dieu. Aveuglé dans le Temple, il tomba à terre et ne retrouva la vue que grâce au sacrifice offert pour lui par le grand prêtre Onias. Il utilise également les mots et la structure d’un récit de conversion célèbre à l’époque : Le Roman de Joseph et Aséneth.
Ainsi, même si saint Paul n’utilise pas le mot, nous n’avons ni le récit d’une vocation, ni celui d’une théophanie, mais un récit de conversion : l’ennemi du Christ est devenu témoin.
Mais la conversion de Saul n’est pas isolée. De même que la conversion de Corneille passe par la conversion de Pierre, celle de Saul passe par celle d’Ananias. Ce dernier doit reconnaître la nouvelle identité de Saul. La conversion du persécuteur passe par la conversion de la partie croyante. Ainsi donc la fête de la conversion de saint Paul est aussi celle de la conversion d’Ananias. C’est la fête d’une communion reconnue et restaurée, sous la pression divine, de deux hommes autrefois étrangers l’un à l’autre. La conversion de Saul a dès le début une portée ecclésiologique, l’appel à la conversion pour l’unité de tous les disciples du Christ.
Cependant il ne s’agit pas d’une conversion morale. C’est la conversion d’un homme profondément religieux. C’est le changement total de l’image que ce pharisien zélé se faisait de Dieu. Le Seigneur l’a entraîné dans un total détachement de ce qui jusque là lui avait semblé important (Ph 3, 7-8). Il a tout contemplé sous un angle nouveau. Lorsque Jésus lui pose la question : “Pourquoi me persécutes-tu ?”, il comprend d’un coup qu’il s’est trompé en confondant les véritables valeurs. Il découvre la perle précieuse et s’aperçoit que tout le reste ne vaut rien. Il revisite alors son jugement et son comportement.
La vision de la gloire du Christ lui fait reconnaître sa propre obscurité. Cette obscurité symbolique se transforme pour Paul en ténèbres réelles. La cécité est le reflet de la gloire de Dieu qui lui a manifesté son égarement. Dans la conversion nous sommes appelés à mieux nous connaître et à nous effrayer de nos propres ténèbres par la connaissance de la lumière de Dieu. C’est au contact du Christ que l’homme se découvre ténèbres et appelé à être lumière.
Saul fait alors une rencontre avec le Christ ressuscité. Le péché fondamental de l’homme, c’est de ne pas reconnaître Dieu comme Dieu, de ne pas se reconnaître comme don de Dieu et Paul a connu cette attitude et a refusé la bonté de Dieu à son égard. Sur le chemin de Damas, il accepte la douce pitié de Dieu.
Cette conversion n’est cependant pas une affaire privée :
“Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle.”1Tm 1, 16 En célébrant la conversion de saint Paul, nous ne sommes pas des nostalgiques d’un événement du passé, mais “l’apôtre des nations” reste pour tous les hommes, pour l’histoire et pour le monde un signe et un appel pour accepter la miséricorde de Dieu.