Mais, alors, comment Jésus a-t-il pu être baptisé par Jean ? Comment lui, le Rédempteur, a-t-il pu être baptisé d’un baptême « en vue de la conversion » ? Cela a troublé la conscience chrétienne. En témoigne de manière fort visible la rédaction évangélique.
Marc, le plus ancien des quatre évangélistes, mentionne très sobrement le baptême de Jésus par Jean : « En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain. » Et, tout de suite, sans qu’il y ait la moindre description du geste ou une esquisse de dialogue, il enchaîne : « A l’instant où il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui. » Dans Matthieu, au moment où Jésus se présente devant Jean, celui-ci objecte : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi et c’est toi qui viens à moi ! » Et Jésus répond énigmatiquement : « Laisse faire maintenant, c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » Luc, lui, mentionne l’emprisonnement de Jean avant même de dire que Jésus est baptisé ! On a en 3, 20 : « Hérode enferma Jean en prison » et en 3, 21 : « Comme tout le peuple était baptisé, Jésus baptisé lui aussi, priait ; alors le ciel s’ouvrit... » Et on remarque qu’il n’est pas dit explicitement que Jean baptise Jésus. Chez Jean, qui développe longuement le « témoignage » de Jean, le baptême de Jésus n’est même pas mentionné.
Pourtant, l’événement est incontestable. Les plus critiques des exégètes ne nient pas une donnée de ce genre. Si elle a été conservée, non sans mal, par la tradition chrétienne, c’était parce qu’elle est trop attestée pour être niée. Mais, alors, comment comprendre ?
Il est clair que Jésus, au seuil de son ministère, se place du côté des pécheurs, comme il sera placé au terme de son ministère entre deux bandits. Et c’est bien le même Messie qui accueillera pécheurs et publicains au scandale des légistes et des pharisiens. Mais, chacun sent bien qu’il faut faire une lecture plus radicale, plus existentielle et plus théologique à la fois. Je vous propose de comprendre ainsi.
Quand nous descendons dans l’eau de notre baptême, nous y déposons la crasse de notre péché et nous ressortons lavés par la grâce du Christ. Jésus, lui, descend dans l’eau, rempli de grâce, mais c’est pour y prendre cette crasse que nous y avons déposée. Nous sortons propres, vivifiés par la grâce, lui, il sort sali par notre péché. Jean exprime cela parfaitement quand il désigne Jésus aux apôtres en disant : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Toujours je pense au baptême de Jésus quand, au moment de la Fraction, signe de sa mort en « rémission des péchés », nous chantons l’Agneau de Dieu.
En Jésus, le Verbe de Dieu s’est fait homme. Mais, si l’on peut dire, il ne s’est pas contenté de cela : il a pris sur lui notre péché - Paul ira jusqu’à dire « Il s’est fait péché pour nous ». Dès lors ne peut-on pas dire que la fête du baptême du Christ, au terme du temps de Noël, est celle de l’incarnation au péché ? Bouleversant mystère et qui donne à la « nativité » sa signification ultime.
Père Régis Doumas, Curé d’Orange