Quand paraîtra cette feuille, beaucoup de souvenirs auront été évoqués, beaucoup d’images montrées, elle sera enterrée dans le petit cimetière des sœurs où elle avait choisi de reposer, et hommage solennel lui aura été rendu à Notre-Dame de Paris, exprimant, au-delà des assistants alors réunis (célèbres ou anonymes), la reconnaissance de tout un peuple qui l’aimait.
Mais cette disparition si simple en elle-même – elle s’est éteinte pendant son sommeil, de l’épuisement d’une vie, sans maladie signalée semble-t-il et sans infirmité particulière – a une telle résonance pour notre sensibilité et une telle signification pour notre foi que nous ne pouvons pas ici la passer sous silence.
Merci à toi, Emmanuelle, “Dieu-avec nous”, qui tutoyais tout le monde ici-bas avec amitié, avec malice, comme tu en avais pris le goût en parlant l’arabe, toi, la chiffonnière du Caire, dans l’évidence de l’égale dignité de tous les hommes – maintenant, tu tutoies Dieu…
Merci à toi, grande figure de la charité chrétienne, sœur de l’abbé Pierre, sœur de mère Teresa, sœur Lumière, sœur de notre Joie, obstinée militante des pauvres, toi dont un athée déclaré a dit : “Elle donnait envie de croire !” - maintenant, tu intercèdes pour tous, les démunis et les chercheurs de Dieu.
Merci à toi, Madeleine Cinquin, enfant qui as vu son père mourir sous ses yeux et qui, du mal incompréhensible, as su tirer une vocation généreuse : c’est dans la révolte que tu as créé, crié, appelé, cheminé, et gagné les batailles de la misère. “Mon âme chantait” disais-tu – et maintenant tu chantes encore auprès de Dieu.
Merci à toi, qui as su recommencer à 63 ans une autre vie dans les bidonvilles d’Egypte, et qui voulais que l’homme secouru coopère à l’aide qu’on lui apportait, afin qu’il ne fût ni humilié ni assisté, mais “éduqué”. Merci à toi, passionnément discutante, qui disais n’être pas mystique, mais dont la vie fut si activement chrétienne et optimiste (“Il faut croire qu’on y arrivera !”) – tu as vécu la Parole de Dieu, tu l’as donnée à voir, et dans nos cœurs, tu la fais brûler à la manière d’un grand soleil.
“Ma barque s’éloigne vers l’autre rive” disais-tu récemment. Tu es partie.
Merci pour tout, et pour toujours, avec toi, “yalla !”