Il faut faire de l’œcuménisme parce que Dieu et la Bible nous le commandent, “pour que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé” (Jn 17, 21). Il faut faire de l’œcuménisme parce qu’il n’y a “qu’un seul Dieu, qu’une seule foi, qu’un seul baptême”, et nous pourrions ajouter effectivement, parce que nous prions le même Dieu, parce que nous avons la même Bible, parce que nous avons la même prière du Notre Père et le même Credo ; et encore, nous pourrions ajouter, parce que nous partageons des points de vues communs dans le domaine social, dans la nécessaire charité auprès des plus pauvres et des plus démunis ; parce que nous menons des combats communs.
Oui, nous pourrions dire tout cela, et toutes ces raisons sont, bien sûr, justes, vraies et importantes, parce qu’elles disent, à leur manière, que nous partageons l’essentiel. Oui, nous pourrions dire qu’il faut faire de l’œcuménisme parce que nous nous ressemblons, parce que nous sommes semblables.
Mais j’ai envie de dire autre chose. J’ai envie de dire qu’il faut faire de l’œcuménisme parce que nous sommes, non pas semblables, mais différents ! Parce que nous n’avons pas la même conception de l’Église, parce que nous ne lisons pas la Bible tout à fait de la même manière, parce que nous n’avons pas les mêmes sacrements, parce qu’il y a des prières qui nous différencient, parce que nous ne prenons pas la Cène de la même manière, parce qu’un pasteur, ce n’est pas comme un prêtre, parce que des questions d’éthique nous opposent ou nous distinguent, parce que nous n’avons pas la même vision du rôle de l’Église dans la société, et pour bien d’autres raisons encore… Il faut faire de l’œcuménisme, justement, parce que nous sommes différents, parce qu’être catholique, orthodoxe ou protestant, quoi qu’on dise, ce n’est pas pareil !
Une histoire biblique va nous aider à le comprendre. C’est l’histoire bien connue de Caïn et Abel (Gn 4, 1-16), histoire exemplaire si l’en est, histoire symbolique ; parce qu’elle montre que la différence est inhérente à la vie ; parce qu’il est faux de se croire identiques. La différence est là, déjà avant nous et c’est elle qui nous constitue de manière imparable ; différence de natures, de cultures, de conditions… Cette différence est inscrite dans l’histoire de Caïn et Abel, sans que l’on sache dire d’ailleurs pourquoi, mais elle est là. La vraie question est : qu’allons-nous faire de cette différence ? Parce que la différence est naturellement source de conflit, de division, et parfois, germe ou prétexte de meurtre. On croit rétablir la paix en supprimant la différence, c’est à dire en supprimant l’autre, mais c’est une illusion, c’est un mirage dramatique. Le premier avertissement divin est donc là pour prévenir cette pente “naturelle” de la suppression de l’autre, c’est à dire de la suppression illusoire de la différence. Il est possible, dit Dieu, de résister à cette tentation mais sache qu’elle est là et que son issue est toujours fatale, pour l’autre, mais aussi pour toi. “Le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le.”
Il faut alors faire œuvre d’œcuménisme parce que nous pouvons montrer ainsi que la différence entre nous n’aboutira pas à la suppression de l’autre, à son élimination ou à son intégration ; parce que nous pouvons et nous voulons montrer que la différence ne conduit pas forcément à la mort de l’autre (réelle ou symbolique) et que nous pouvons vivre ensemble, comme frères, bien sûr et toujours… mais frères différents. Vivre ensemble parce que nous sommes identiques : où serait l’exploit, où serait l’exemple ? Mais vivre ensemble, prier ensemble, célébrer ensemble, parce que nous sommes différents, malgré nos différences, voilà ce qui porte réellement témoignage, et en particulier dans le monde tel qu’il va aujourd’hui et tel qu’il vit, où la différence est surtout source de conflit plus que source de rassemblement.
Voilà, je crois, ce témoignage que nous avons à porter en faisant de l’œcuménisme : montrer que la différence, reconnue et acceptée, peut être source de fraternité et non de fatalité meurtrière ; montrer que la différence est source de connaissance pour chacun et d’enrichissements mutuels.